En toute franchise

vieillesse, esthétique, ami

" Personnellement j'ai pris le parti de ne plus me regarder dans la glace; ça revient moins cher que la chirurgie esthétique."

" Il est de fait que depuis quelques mois, la chose peut paraître étrange à mon âge (soixante-huit ans), j'essaie de me défausser d'un maximum d'amis. Je suis franchement surpris que nous ne soyons pas plu nombreux à le faire, puisqu'il s'agit là d'un moyen simple et efficace de parvenir à une mise au net bienvenue en fin de partie. Pour vivre sa vie surtout dans l'âge adulte, il faut toujours faire l'économie du superflu. A mon sens, on n'a rien à y perdre et on se facilite l'existence. Selon moi, personne n'est fait pour avoir des foules d'amis. J'ai lu des choses là- dessus. Les statistiques du Coolidge Institute (qui n'est pas en soi le conservatoire de l'amitié) montrent que nous consacrons un maximum de 40 % de notre temps aux cinq personnes qui comptent le plus pour nous. Dans la mesure où la qualité d'une amitié est fonction du temps investi, il est matériellement quasi impossible d'avoir plus de cinq vrais amis. C'est bien pourquoi j'ai limité mon temps pour autrui à du temps avec Sally, mes deux enfants (qui habitent des villes lointaines, Dieu merci) et mon ex-femme Ann, qui a élu domicile dans un mouroir chiquissime trop proche de mon domicile pour mon  confort personnel. Reste donc un créneau et un seul. Charité bien ordonné....j'ai décidé de me le réserver; je serai ainsi mon meilleur et mon dernier ami."

" Et pourtant, Eddie a teint sa tignasse en noir goudron. Mais la teinture..a dégouliné sous l'implantation, ce qui lui fait encore une tête plus bizarre. Il a une mine plus épouvantable maintenant que lorsqu'il aura poussé son dernier soupir. En phase finale, la vie ne lui va pas au teint."

" Bien entendu, comme la plupart des gens, je n'ai jamais été un ami fantastique, mais plutôt une connaissance qui tombait parfois à point nommé, ce qui explique que j'aie apprécié le club des divorcés."

alzheimer

" Le Dr Zippe m'a demandé si je voulais qu'il me prescrive une batterie de tests sanguins pour savoir si j'étais candidat à un Alzheimer. (Proposition qui le réjouissait manifestement.) " Non merci, ai-je répondu, planté dans sa cellule verdâtre, à me geler les fesses dans une chemise stérile à fleurettes. Je ne vois pas ce que je ferai de l'info. - Vous l'oublierez sans doute", m'a-t-il dit avec une joie mauvaise."

main, départ, homme

" on est impuissant devant un homme décidé au départ; tout ce qu'on peut faire peut-être, faute de mieux, c'est lui serrer la main."

connaissance, amitié

" Ces vieilles connaissances, voisins, anciens profs, camarade de régiment aperçus à l'improviste, combien en avons-nous esquivé en plongeant dans la première ruelle pour éviter de leur faire face une seconde ? Tout ça parce que : 1) On n'en a pas envie; 2) Trop de non-dits entre nous qui ne méritent pas spécialement d'être dits- une muraille de Chine verbale nous dégringolerait dessus et nous écraserait; 3) Nous savons que d'autres éprouvent la même chose à notre endroit. Nous sommes, pour la plupart, les dernières personnes à qui un individu sensé aurait envie d'adresser la parole quel que soit le jour de l'année, Noël compris."

mots

" " Vous avez une famille ? - J'ai eu un mari. Nous nous sommes séparés en 2001 et il est décédé en 2004. J'ai gardé notre appartement. Il était sergent dans la police. - Je vois", j'ai dit, car sincères condoléances aurait été tout aussi déplacé que Oh, super, ça tombe bien. La voie est libre et vous êtes encore une sacrée belle femme. Ah, les mots."

maison de retraite

" et j'entre dans le grand hall exubérant et illuminé où le monstrueux sapin de Noël menace d'égratigner le plafond cathédrale, là où tout est festif, tout effervescence. L'argument de vente suprême de Carnage Hill et de ces mouroirs haut de gamme n'est pas de nier l'existence douloureuse de la maladie, de la vieillesse, de la confusion mentale, de la solitude et du dégoût de vie, mais de soutenir, que, toute chose égale par ailleurs, mieux vaut les vivre ici. Ce n'est pas seulement qu'en ces circonstances on ne serait mieux dans nul autre endroit, c'est qu'on n'a jamais été mieux dans nul autre endroit, c'est qu'on n'a jamais été mieux où que ce soit; alors les circonstances...Vue sous cet angle, la phase terminale ressemble à une croisière. "

voisin, américains

" Or le schéma américain classique, dans les banlieues résidentielles surtout, comporte toujours un voisin débonnaire de l'autre côté de la clôture; on va voir le match du siècle avec lui, parler de tout et de rien dans un bar en bord de route par une belle soirée d'automne; il vous aide à raboter des planches de sapin au quart de poil pour fabriquer le canot que vous rêvez tous deux de faire glisser sur le lac Naganooki, en juin, quand vient la saison de la pêche au doré."

internet, réseaux sociaux

" Toutes ces données qu'on collecte à longueur de temps et qu'on stocke dans sa cervelle en comptant bien s'en servir un jour - la lèpre est transmise par le tatou; on assiste à une recrudescence de morsures de chien; un nombre croissant d'individus se déclarent sans appartenance religieuse, l'engagement dans la collectivité est en baisse; la mouche tsé-tsé allaite son petit tout comme le panda-, qu'est-ce que vous voulez qu'on en fasse, moi comme les autres ? A soixante-huit ans, je vous demande un peu ! Je pourrais les poster sur Facebok ou sur Twitter, mais comme dit Eddie Mellow, tout le monde sait déjà tout et tout le monde s'en fout."

racisme, extrême droite

" Il se garde bien d'aborder des questions spirituelles avec moi et s'en tient à la politique d'extrême droite, qu'il se figure avoir mes sympathies puisqu'elle a les siennes."

foi

" "Savez-vous, Frank, que je suis le conseiller spirituel d'Eddie depuis des années - à sa demande ?" Fike se dresse littéralement sur la pointe des pieds, comme si ses propos le grandissaient."

écrivain, livre

" Tout à coup, j'ai peur que l'intérêt subit d'Eddie pour la littérature m'annonce qu'il a quelque chose à me faire lire : un truc qu'il aurait écrit, des mémoires ou alors un roman....Quand on a eu le malheur de publier un livre, même il y a cent ans et même si on est devenu aveugle des deux yeux depuis, c'est un risque qu'on court toujours : on reste une proie toute désignée."